Actualité, Billet d'humeur

Charlie Hebdo: un autre regard sur la liberté d’expression.

Le massacre perpétré mardi chez Charlie Hebdo est un véritable tremblement de terre. Cet attentat ignoble commis en plein cœur de Paris m’a profondément touché.

Au-delà des morts, des cris et des larmes, ce sont nos démocraties occidentales qui ont été touchées en plein cœur. Un groupe d’hommes a décidé que nos lois (qui sont aussi les leurs) ne leur étaient pas suffisantes. C’est intolérable.

Aujourd’hui, plus que jamais, il nous faut nous rappeler les deux valeurs fondamentales qui sont à la base de nos sociétés de Droits : la liberté et l’égalité. Deux principes démocratiques indissociables, portés par la Révolution française, et qui se trouvent pourtant déjà opposés dans bon nombre de réactions aux crimes perpétrés ce mardi.

Certains brandissent déjà haut et fort la seule liberté d’expression face aux kalachnikovs de l’obscurantisme et s’insurgent contre toute forme de censure. Ce qui était hier encore un journal satirique, provocateur et, il faut bien le dire, quelques fois dérangeant, est accroché aujourd’hui sur le porte-étendard d’une croisade contre toutes formes de limites à notre liberté d’expression.

Il est non seulement essentiel de conserver le plus grand respect pour toutes les minorités culturelles ou religieuses de nos pays, mais aussi de conserver un certain débat vis-à-vis de la liberté d’expression dans une perspective d’égalité. Le Droit tel qu’il a évolué depuis la Révolution française tend à défendre tant l’égalité des hommes et de femmes que la liberté d’expression.

Nos garde-fous législatifs nous ont permis de mettre en lumière des questions sur les limites de la liberté d’expression. En laissant au juge l’appréciation du caractère haineux ou raciste, sans édicter de règle absolue ou de code de bonne conduite, la loi permet d’ouvrir des débats qui prennent place bien avant les conclusions juridiques. Par cette zone grise législative, le législateur a réussi à ouvrir des discussions que nous n’aurions probablement jamais eues s’il n’y avait lieu qu’à tenir compte d’une sacrosainte liberté d’expression. Et force est de constater que ce ne sont plus tant les juges qui jouent aujourd’hui le rôle de garde-fous, mais les débats et le questionnement qui précèdent toute démarche juridique.

Ainsi, nous vivons dans une société qui s’interroge perpétuellement sur ce qu’il y a lieu de dire et de ne pas dire, sur ce qu’on a lieu d’exprimer publiquement ou de garder pour soi, dans le respect de l’autre, et ce, bien avant qu’une autorité ne s’en saisisse. Et force est d’ailleurs de constater que, dans les faits, les juges ont bien peu à se prononcer sur la liberté d’expression, car les débats publics font déjà fonction de régulateurs dans un grand nombre de cas. La loi, par la simple crainte de ses conséquences, permet aux médias, aux politiques et à tout citoyen d’interpeler, de débattre, de discuter de questions de fond qui semblent plus importantes que jamais dans notre société actuelle.

Oui, on a le droit de trouver que certains vont trop loin dans leurs caricatures, oui, on a le droit de s’insurger contre les conférences de certains polémistes, oui on a le droit de trouver que certains mots, certaines idées ne devraient pas être prononcées publiquement. On a le droit de le dire, d’en discuter et d’en débattre. Et ce droit nous est garanti par la loi.

Je ne veux pas d’un monde où l’égalité est subordonnée aux libertés individuelles. Je ne veux pas d’un monde où l’expression des uns signifie la discrimination des autres, sans droit de recours. Rappelons-nous que les États-Unis, défenseur de la liberté d’expression par excellence, font face aujourd’hui à une énorme vague de protestations qui ne sont probablement que le sommet émergent de l’iceberg des discriminations raciales.

Les provocateurs et les lois anti-discrimination doivent donc continuer de coexister. Ils sont indissociables les uns des autres. Enlever l’un, c’est se priver d’un débat essentiel qui ne nait que par la contradiction provoquée entre ces deux logiques opposées.

Le salut de notre société ne vient pas uniquement de notre capacité à nous exprimer librement, mais surtout de notre capacité à nous poser des questions de fond, à débattre et à remettre nos règles en question.

Charlie Hebdo a été bien plus qu’un pourfendeur de la liberté d’expression. Ces hommes et ces femmes auront provoqué la polémique sur notre propre société, sur notre respect de l’autre, sur la place que nous souhaitons faire aux musulmans et aux minorités religieuses. En allant – peut-être, parfois – trop loin, Charlie a participé à la conscience collective. Rendons leur hommage aussi en ce sens.

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Actualité, Emploi

One Day Interim: grotesque et manipulation façon FGTB.

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(source: Onedayinterim.be)

C’est ce lundi que la FGTB a décidé de lancer une campagne contre les contrats intérimaires journaliers. Mais cette fois ci, pas de tracts distribués à la sortie de la gare ou d’affiches d’information. Le syndicat socialiste a mis sur pied un canular en lançant « One Day Interim », une fausse agence d’intérim soi-disant spécialisée dans les contrats journaliers.

À grands coups de communication, la fausse publicité vante les mérites du contrat à la journée pour les entreprises autant que pour les travailleurs.

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(source: Onedayinterim.be)

Après avoir dénoncé l’arrivé sur le marché de ce sois-disant nouvel acteur, la FGTB ne tarda finalement pas à avouer être l’instigatrice de cette vraie fausse campagne de communication lancée dans le but de dénoncer les contrats journaliers dans le secteur de l’intérim. L’approche n’aura pas manqué de faire réagir la presse, mais surtout Federgon, la fédération des prestataires de service RH.

Voilà pour le résumé de l’actualité. Pour plus de détails sur cette actualité, je vous laisse consulter ici les très nombreux articles parus dans la presse belge cette semaine.

Le syndicat socialiste soutient que six contrats sur dix sont encore des contrats journaliers et revendique l’interdiction pure et simple de ce type de contrat. Le communiqué de la FGTB est à lire ici.

Que cachent en réalité ces chiffres ? Pour le comprendre, il faut revenir aux prémices de l’intérim.

Les premières sociétés de travail temporaire seraient apparues dès le début du 20ème siècle, selon les sources, au Royaume-Uni ou aux États-Unis afin de répondre à un besoin de main-d’œuvre pour une durée déterminée. En Belgique, le travail intérimaire trouve une reconnaissance juridique dans les années ’70. Étant au départ principalement un instrument de flexibilité numérique dédié au secteur industriel, l’intérim s’est depuis adapté à la désindustrialisation en suivant deux grandes tendances :

  1. Un développement accru dans le secteur des services et orienté vers des profils de plus en plus qualifiés.
  2. Le développement de services à plus forte valeur ajoutée : recrutement, outplacement, assessment center, etc.

Autrement dit, les 173 entreprises de travail intérim que compte notre pays cherchent par tous les moyens à pérenniser leurs activités malgré la crise économique. Rappelons au passage que le secteur de l’intérim a été le premier impacté depuis 2008. Véritable baromètre économique, le secteur a accusé des chutes vertigineuses jusqu’à 25% dès le début de la crise. (source Federgon)

Mais ces tendances sont apparues déjà bien avant la crise. Avec la baisse progressive des marges réalisées sur la mise au travail d’ouvriers manutentionnaires dans l’industrie, les agences d’intérim ont pris une partie de la place laissée par des bureaux de recrutement devenus trop chers et trop élitistes. En proposant à leurs clients de leur trouver des candidats qualifiés en vue d’un contrat fixe, elles misent sur des contrats de plus longue durée et sur des prix de facturation plus élevés.

En 2013, notre pays a ainsi connu plus de 500 000 travailleurs intérimaires pour 304 heures prestées en moyenne par intérimaire (38 jours en moyenne à raison de 8 heures / jour). 37% étaient des étudiants, suivis de près par les ouvriers (36,6%) et par les employés (26,6%). 60% avaient moins de 25 ans. Pour 44% des travailleurs intérimaires de 2013, l’intérim était une activité annexe combinée avec pour la plupart avec des études.

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(source Federgon)

Les « springboarders », autrement dit, les intérimaires qui tentent de trouver un emploi fixe grâce à l’intérim représentent près de la moitié des intérimaires. En second lieu, on retrouve les travailleurs qui cherchent un salaire d’appoint devant les travailleurs en quête d’expérience utile.

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(source Federgon)

Tous ces chiffres et bien d’autres sont à retrouver sur le rapport complet de Federgon pour l’année 2013.

Ce que les chiffres ne disent pas, c’est que le travail intérimaire est parfois synonyme de précarité pour certains travailleurs. Contrats d’intérims sans lendemains, enchainements de missions sans pouvoir signer de contrat fixe, avenirs incertains, etc. Il est pourtant difficile d’affirmer que la vie de ces travailleurs serait sensiblement meilleure dans un marché du travail exempt de contrats de travail intérimaires.

En juillet de cette même année, la législation relative au travail intérimaire a connu une petite révolution. La convention collective de travail, signée par les partenaires sociaux (donc aussi par la FGTB), prévoit un certain nombre de dispositions relatives aux contrats journaliers successifs. Ceux-ci doivent dès l’application de la CCT, en septembre 2013, être justifiés dans le chef de l’entreprise utilisatrice. Les entreprises, en outre, doivent suivre une procédure d’information stricte qui inclut des dispositions de recours qui inclut les partenaires sociaux au sein de l’entreprise ou à défaut, au sein de la commission paritaire. Rappelons que les commissions paritaires rassemblent, à parts égales, associations représentatives des entreprises et syndicats. Enfin, et je m’arrêterai là en ce qui concerne la législation, une évaluation biannuelle est prévue par le Conseil National du Travail quant à l’utilisation des contrats journaliers successifs. Ici aussi, toutes les explications sont à retrouver sur le site de Federgon, mais la FGTB en parlait aussi en 2013 et semblait d’ailleurs s’en réjouir.

alors, que peut-on tirer comme conclusions de tout cela ?

La FGTB dénonce l’utilisation des contrats intérimaires journaliers alors qu’elle a été elle-même associée à la mise en place du cadre juridique. Cadre qui, rappelons-le, établit des règles claires et prévoit des procédures de recours pour les représentations syndicales. Elle le fait tout juste un an après sa mise en application alors même qu’une évaluation est prévue en 2015.

Les chiffres ensuite : selon la FGTB, 6 contrats intérimaires sur 10 seraient des contrats journaliers. C’est possible. Mais il faut, à la lecture de ces chiffres, prendre en compte d’autres chiffres et considérer d’abord qu’un tiers des intérimaires sont des étudiants, qu’une partie seulement des intérimaires utilisent l’intérim comme tremplin pour trouver un emploi et qu’il faut 5 contrats journaliers pour faire une semaine. Sachant cela, le nombre de travailleurs non étudiants étant employé sous contrats journaliers successifs baisse drastiquement. Le syndicat se garde bien aussi de mentionner la période de référence sur laquelle elle a tiré ces chiffres. La mesure limitant l’utilisation de contrats journaliers successifs étant entrée en vigueur au mois de septembre 2013, il serait grotesque pour le syndicat d’utiliser les chiffres de cette année-là. Mais à y regarder de plus près, c’est pourtant bien ce qu’elle a fait !

Enfin, sur le fonds, la FGTB démontre ici toute son incapacité à comprendre le secteur de l’intérim.

Premièrement, il est grotesque d’imaginer une agence d’intérim se spécialiser dans les contrats journaliers alors que l’ensemble du marché travaille d’arrachepied depuis plus de dix ans à proposer une offre qui lui assure des rentrées régulières et des marges suffisantes.

Ensuite, il existe une série de cas où le recours aux travailleurs flexible à la journée est une nécessité. Le remplacement de personnel absent, la réalisation de travaux exceptionnels, la hausse momentanée de production, l’embauche d’étudiant pour le mercredi après-midi, etc. Quand on sait que 44% des intérimaires exercent leur activité d’intérimaire à titre secondaire, les priver de cette activité aurait probablement des répercussions aussi graves que pour les entreprises.

Finalement, il ne faut pas ignorer que certains secteurs dépendent littéralement de cette mise à disposition de travailleurs à la journée. Le secteur de l’HORECA ou des soins infirmiers sont deux exemples parmi d’autres.

Alors, oui, il faut défendre les droits des intérimaires et chercher à diminuer les abus de la part des entreprises. Mais non, flinguer tout ce qui bouge au travers d’une propagande grossière et provocatrice ne fera pas avancer les choses. Pire, la FGTB a réussi ici à se décrédibiliser auprès de ceux qui n’avaient pas besoin de mon article pour lire entre les lignes et à mettre à mal sa relation avec les autres acteurs sociaux.

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