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Aujourd’hui, je vais au boulot à vélo !

Quelques jours après la semaine de la mobilité d’une des villes les moins mobiles du monde, il est de bon ton de se poser la question : alors, se déplacer quotidiennement en vélo à Bruxelles, ça donne quoi ?

Les plus optimistes diront que la question n’est pas légitime. Dans une ville citée régulièrement au hitparade des villes les plus embouteillées, l’écomobilité devrait être un véritable leitmotiv pour les politiques. Pour ceux qui ne vivent pas au cœur de l’Europe, Levif.be écrivait encore récemment « La Belgique, championne du monde des embouteillages ». D’ailleurs, notre petit pays ne compterait pas une, mais deux villes dans le trio des villes les plus bouchées.

Et la situation n’est pas près de s’améliorer. Selon l’INRIX, institut spécialisé dans l’analyse du transport dans le monde, la situation en 2013 est pire qu’en 2012.

Désengorgement, zéro émission de gaz et aucune pollution sonore, les motifs ne manquent donc pas pour investir dans la mobilité à vélo. Et je ne parle pas ici de faire 500 mètres sur un Villo dont le poids sur une côte de 2% suffirait à fatiguer les plus sportifs. Non, non, je parle ici de traverser Bruxelles sur plusieurs kilomètres par jour.

Analyse !

Avant de parler de Bruxelles, commençons par quelques notions qui concernent le cycliste. Le cycliste urbain quotidien ou « vélotaffeur » est quelqu’un qui :

  • N’aime pas les dénivelés.
  • Apprécie les routes en bon état et uniformes. Par ailleurs, le cycliste se méfie des trous, trottoirs, nids de poules, rails de tram et toutes les petites différences de niveau.
  • N’apprécie pas plus de remonter une foule de piétons qu’une file de voitures.
  • N’aime pas s’arrêter. Quand on avance grâce à l’inertie produite par nos mollets, le moindre démarrage coute beaucoup d’énergie. Changer de vitesse à l’arrêt n’est pas possible sur la plupart des vélos et si certains systèmes de changement de vitesse dans le moyeu le permettent, ils rajoutent un poids considérable au vélo.

Et Bruxelles dans tout ça ? Abordons la question par ce qui ne changera jamais : Bruxelles n’est pas une ville plate. La capitale compte un bon nombre de montées (et de descentes) souvent incontournables pour traverser la ville. D’ailleurs, j’ai bien peur qu’il ne faille chercher du côté de la géologie pour expliquer les très nombreuses montées (et descente) de la capitale. Conclusion : il faut de bons mollets pour traverser la ville !

Quant à l’état de la route, on ne peut pas dire qu’on soit bien servi à Bruxelles. Les revêtements sont divers et nombreux. Entre les pavés et les rails de tram, le cycliste a droit à une multitude de revêtements du plus sécurisant au plus dangereux-de-la-mort-qu’il-faut-aborder-avec-précaution. Certains tronçons vous feront les bras, d’autres vous obligeront à développer votre agilité. Malheureusement, il n’existe pas encore de vélo solide, doté de suspensions ad hoc, rapide et léger. À vous de trouver le meilleur compromis en fonction de votre trajet.

L’uniformité ensuite : à Bruxelles, il existe autant de hauteur de trottoir que de trottoir, depuis le plus infranchissable jusqu’au plus insignifiant.

Enfin, sachez qu’il n’y a pas qu’en Wallonie que les routes ressemblent à du gruyère. Bruxelles n’est pas mal dans son genre non plus. Vient ensuite la place que le cycliste doit prendre sur la route.

Oubliez donc votre vélo de course full carbone à plusieurs milliers d’euros. À moins de passer la moitié de votre temps à porter le vélo à l’épaule, j’ai bien peu qu’il faudra se contenter de votre bon vieux VTT, VTC ou d’un vélo hybride.

La ville n’est pas exempte de « vraie » piste cyclable, mais celles-ci sont rarissimes. La plupart du temps, il faudra se contenter d’un vague dessin de vélo sur la route qui rappellera, peut-être un temps, à l’automobiliste qu’il doit partager la route. Mais en toute honnêteté, on aurait pu s’épargner cette peine, tant la mesure est globalement très inefficace.

En outre, les pistes sont extrêmement disparates. Sur quelques centaines de mètres on a souvent droit à un bout de piste cyclable, quelques mètres sur le trottoir avant d’être rabattu sans crier gare sur la route. Sur les grands axes, les pistes sont souvent mal indiquées et il vous faudra bien souvent vous contenter d’un passage piéton pour passer d’un axe à l’autre. Oubliez donc les grandes pistes cyclables qui traversent Bruxelles, vous mettant à l’abri des autres usagers. Cela n’existe tout simplement pas !

Enfin, la ville compte un certain nombre d’absurdités qui font régulièrement le buzz sur le net : piste entrecoupée de poteaux d’éclairage, trottoir infranchissable qui entrecoupe la piste, piste dont le revêtement la rend inutilisable,… Bruxelles ne semble heureusement pas être la seule ville à rassembler quelques absurdités.

Venons-en maintenant au troisième point : Si le cycliste n’aime pas se confondre avec les automobilistes sur les grands axes routiers – sécurité oblige – les trottoirs sont un défi permanent. Vous avez dit trottoirs ? Oui. Bruxelles compte un grand nombre de « pistes » cyclables qui sont situées sur le trottoir. La rue de la Loi est le parfait exemple de cette absurdité bruxelloise. Les cyclistes y sont obligés de rouler au pas au risque d’approcher les piétons d’un peu trop près.

Un constat s’impose, Bruxelles privilégie depuis des années les automobilistes. Comment laisser un maximum de voitures sur la route ? En consacrant le maximum de place à ces voitures et en plaçant le moins possible d’obstacle, de signalisation ou de contrainte. La circulation à Bruxelles est devenue de plus en plus sauvage, basée sur des règles tacites et une vigilance permanente. Certains croisements sont d’ailleurs propices à ce qu’on pourrait appeler un « accident en droit volontaire ». Les véhicules qui sont prioritaires ont tout autant intérêt à faire preuve de vigilance que les autres véhicules pour éviter l’accident. Le parking en double file fait également partie de ces plaies qui ne facilitent pas la vie des autres usagers (cyclistes comme automobilistes). Dans cette jungle urbaine, comment dès lors en vouloir aux automobilistes de ne pas porter suffisamment d’attention aux cyclistes ? Et comment en vouloir aux cyclistes de se détourner des trop rares pistes mises à disposition en s’insérant sur la route parmi les véhicules motorisés ?

L’équation composée ainsi d’automobilistes hyper concentrés (dans tous les sens du terme) et d’un nombre croissant de vélos circulant partout où ils le peuvent donne lieu logiquement à une augmentation croissante du nombre d’accidents et à une tension accrue entre usagers de la route.

Côté cyclistes, ce graphique, fourni par l’IBSR, résume toute la gravité de la situation :

Graphique IBSR

Je laisserais soin à ceux qui veulent en savoir plus de consulter le rapport complet à cette adresse.

Quelles solutions ?

  1. Attribuer une véritable place au cycliste. Ce n’est que de cette façon que cyclistes, automobilistes et piétons circuleront en harmonie. Les piétons ont d’ailleurs déjà droit à un trottoir qui les sépare des autres véhicules, il est temps de faire de même pour les vélos !
  2. Réfléchir à des pistes cyclables de plus grande ampleur et reliées entre elles.
  3. Contraindre les automobilistes au travers d’une signalisation plus sévère pour éviter la conduite sauvage.

Alors, finalement, aller en vélo au boulot, mauvaise idée ? Pas nécessairement. Une situation n’étant pas l’autre, le trajet devra faire l’objet d’une analyse précise et le choix de l’équipement se fera en conséquence. De bons mollets et une bonne dose de courage – selon le trajet – ne seront pas de trop.

Mais tant que les autorités ne commenceront pas à penser la mobilité autrement, rouler à vélo à Bruxelles restera un défi.

Pour aller plus loin: 

Le film Brussels Express
(D’autres liens bientôt disponibles)

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